Interview de Eric Steven Raymond
"Nous n'avons plus besoin de la GPL"
Par
Federico Biancuzzi
Publié le 30 juin 2005 sur le site
ONLamp
Récemment, pendant le "Fórum Internacional de Software
Livre" au Brésil (FISL - forum international de logiciel libre),
Eric Raymond a fait un discours à propos du modèle de
développement des logiciels libres. Il a dit "Nous n'avons plus
besoin de la GPL. Elle est basée sur la conviction que le
logiciel libre est fragile et qu'il a besoin d'être
protégé. Le logiciel libre réussirait plus
vite si la GPL ne
rendait pas autant de gens nerveux à propos de son adoption".
Federico Biancuzzi a décidé d'interviewer Eric Raymond
pour en apprendre plus à ce sujet.
Pourquoi avez-vous dit que nous
n'avons plus besoin de la GPL ?
Nuos sommes en 2005, pas en 1985. Nous avons beaucoup appris ces vingt
dernières annèes. Les craintes qui étaient
à l'origine de la partie 'réciprocité' de la GPL
n'ont plus aujourd'hui de fondement, tout du moins selon moi. Ceux qui
font
ce que la GPL tente d'éviter (par exemple créer un projet
propriétaire dérivé d'un projet libre) se
retrouvent à faire du tort uniquement à eux-mêmes.
Ils se piègent eux-mêmes en entrant dans le jeu de la
concurrence avec leur petit groupe de développeurs contre celui
bien plus gros du projet original, et ils échouent.
J'ai lu que vous avez
étudié le marketing pour promouvoir l'OSI (Open Source
Initiative - Initiative pour les logiciels libres). Je me dis que le
fait que Linux soit plus connu que BSD est peut-être lié
au fait que la GPL soit 'virale'. Si à chaque fois que vous
concevez un produit basé sur Linux vous devez publier son code
source, il est clair que tout le monde saura qu'il est basé sur
Linux. Et donc l'engouement continue de progresser : un autre produit
basé sur Linux ! Ca n'arrive pas avec le code sous license BSD.
J'ai lu par exemple que la nouvelle console portable de Sony inclut du
code venant de NetBSD. Comment le savons-nous ? Uniquement grâce
à la clause d'information écrite dans _un simple fichier
texte_ [http://www.scei.co.jp/psp-license/pspnet.txt] que quelqu'un a
découverte sur leur site web. Mais c'est
différent de la manière dont Sony a annoncé que la
Playstation 3 fonctionnera nativement sous Linux. Ils ont
fièrement écrit un communiqué de presse et en ont
fait tout un cinéma. Quelle est votre opinion ?
Je pense que vous surestimez les bénéfices marketing de
dire "Linux Inside!" ; la plupart des consommateurs de technologie s'en
fichent, et Sony le sait. Je pense que Sony annonce sont soutien
à Linux car ils savent que c'est probablement la meilleure
solution pour attirer les développeurs. NetBSD est un bon projet
mais, regardons les choses en face, le nombre de ses fans n'est tout
simplement pas assez grand pour justifier des efforts marketing pour
les recruter.
Plus généralement, je ne pense pas que la GPL soit la
principale raison du succès de Linux. Je pense plutôt que
c'est parce qu'en 1991 Linus a été la première
personne à trouver la bonne architecture sociale pour le
développement logiciel distribué. Ce n'était pas
possible longtemps avant car cela nécessitait un accès
internet bon marché ; et depuis Linux, la plupart des personnes
qui auraient autrement créé leur propre projet de
système d'exploitation ont trouvé que la solution la plus
efficace était d'améliorer Linux. La GPL a aidé,
mais je pense que c'était principalement comme une sorte de
signal social plutôt qu'en tant que document
juridique reconnu.
Il y a quelque temps il y a eu une
offre financière pour obtenir Linux sous licence BSD.
L'auriez-vous accepté ?
Je n'aurais pas eu le droit d'accepter l'offre de Jeff Merjey ; je ne
suis pas Linus. Mais supposons que je le sois ... hmmm ... c'est
intéressant que vous me demandiez ça, parce que j'ai
échangé des emails avec Linus à propos d'une
série de questions sur la manière de s'en sortir au cas
ou une court de justice casserait la GPL.
Je pense que la réponse à votre question est non. Je ne
m'inquiéterais pas au sujet d'un projet fermé faisant du
tort à la communauté ; je pense que c'est une forme
d'idiotie auto-punissante. Linus est probablement encore en
désaccord avec moi à ce propos ; il a toujours
été plus favorable à la GPL que moi. Ce que je
ressentirais est quelque chose que je sais avec certitude que Linus
ressentirait également -- une obligation de ne pas violer les
attentes des contributeurs du noyau sans une meilleure raison que
quelques dollars dans ma poche.
Linus m'a dit qu'il ne modifierait la licence du noyau que dans le cas
d'une urgence qui rende cela nécessaire. Je pense
qu'à sa
place j'aurais la même politique.
Linux (le noyau) est sous GPL version
2. Je cite une note de Linus :
Notez
également que l'unique version de la GPL qui soit valide pour
autant que le noyau soit concerné est _cette_ version
particulière de la licence (c'est à dire v2, et pas v2.2
ou v3.x ou tout ce que vous voulez), à moins que ce ne soit
précisé explicitement.
Est-il certain que Linus adopte la GPL
v3 ?
Ça dépend. Je sais qu'il s'inquiète du fait que la
GPL
3.0 puisse aller trop loin.
Y-a-t'il un risque de création
d'une nouvelle branche avec cela ? Un noyau Linux conduit par Linus
sous GPL v2 et un autre conduit par quelqu'un d'autre sous GPL v3 ?
Je ne pense pas. La culture technique du groupe du noyau Linux ne me
semble pas être composé de fanatiques des licences.
La GPL inclut une clause qui modifie
automatiquement les conditions de la licence en toute nouvelle version
d'elle-même. N'est ce pas un cheval de Troie ?
Non, parce que la clause indique "selon votre choix". C'est à
dire qu'une personne récupérant un logiciel sous GPL v2 a
à choisir si la v2 ou une version plus récente s'applique.
Mais cela signifie :
* l'utilisateur
choisira quelle version particulière il préfère,
et non l'auteur original du logiciel.
* cette cible
mobile (GPL 2.0, 2.1, 2.x, 3.x) peut être choisie de
manière appropriée en cas de procès.
Comment cette condition non
définie peut être une bonne chose ?
L'utilisateur choisit uniquement pour les copies du logiciel encore
sous GPL 2. L'auteur est libre de changer sa licence en 3.0.
La condition que vous appelez "non définie" signifie que les
utilisateurs ne peuvent être sommairement privés des
droits sur lesquels ils comptaient. Ce qui est une bonne chose :
après tout, la GPL
était supposée garantir les droits des utilisateurs.
Vous prenez du code sous GPL et vous
êtes alors libre de choisir une version différente de
cette licence chaque jour de la semaine, parce que vous n'avez pas
à indiquer par écrit ce numéro de version
où que ce
soit. Les personnes travaillant sur la GPL v3 ne devraient-elles pas
supprimer cette clause, ou exiger d'écrire quelque part le
numéro de version exact de la GPL que les développeurs
ont choisi ?
Pourquoi ? Quel problème cela résoudrait-il ?
Ça ne ferait certainement rien pour les utilisateurs. Ils
perdraient
des choix plutôt que d'en gagner.
Citation de Indications
d'un initié à propos des modifications de la GPL
La
version actuelle de la GPL, qui a été actualisée
en 1991, échoue à déclencher la licence libre si
une entreprise modifie le code, mais ne distribue pas le logiciel via
un CD ou une disquette ... Mais la règle ne s'applique pas aux
entreprises qui distribuent du logiciel en tant que service, telles que
Google et eBay, ou même les entreprises à double licence
telles que Sleepycat ... "Cela signifie qu'un paquet d'innovations est
laissé de côté. C'est un problème important
pour nous qui travaillons pour que la nouvelle GPL soit bonne".
N'est-ce pas une voie dangeureuse que
d'étendre sa viralité aux logiciels distribués en
tant que services ?
Je n'ai jamais pensé que la viralité soit une bonne
idée au départ, donc je vois ça comme un pas dans
la mauvaise direction. J'ai utilisé la GPL pour nombre de mes
propres projets, mais plus par solidarité avec la
majorité de la communauté qu'à cause de mon
attachement à la GPL elle-même.
Le pour et le contre d'une "licence virale" est une chose à
laquelle j'ai beaucoup pensé dernièrement. En remontant
en 1998, je suspectais que l'allégeance à la GPL soit en
fait une preuve que les développeurs de logiciels libres ne
croient pas vraiment en leur propre affaire. C'est à dire que si
nous croyons vraiment que le libre est un système de production
supérieur, et donc que dans le cadre d'un marché de libre
échange il éliminera les logiciels propriétaires,
alors pourquoi pensons-nous avoir besoin d'une licence infectieuse ?
Que pensons-nous gagner en punissant les transfuges ?
Une viralité plus forte punit les transfuges plus efficacement,
mais a également plus tendance a effrayer les gens qui
pourraient rejoindre la communauté du logiciel libre. Le
réglage optimal dépend de l'importance de
réellement punir les transfuges, par rapport à la
pression économique en faveur du libre. Ma conviction actuelle
est que le marché de libre échange fera un assez bon
travail pour punir les transfuges ; accroître la viralité
est par conséquent une mauvaise stratégie.
Remarquez qu'en disant ça je ne défends ni n'excuse ceux
qui trichent avec la GPL. Le fait qu'une licence non virale soit une
bonne idée pour la communauté peut être un sujet de
débat, mais les auteurs qui la choisissent ont le droit
d'attendre que ses conditions soient respectées.
Sur gpl-violations.org il y a des exemples d'entreprises qui ont
utilisé du code sous GPL dans leurs produits, mais "n'ont fait
aucune offre de leur code source, ni fourni la licence GPL avec leurs
produits".
La plupart d'entre elles ont
signé une déclaration pour arrêter toute
distribution de leur produit sans adhérer aux conditions de la
licence. L'une d'elles a refusé de signer la déclaration
et le projet netfilter/iptables a été obligé de
demander au tribunal une ordonnance préliminaire afin
d'interdire la distribution de ce produit tant que l'entreprise ne
respecte pas toutes les obligations de la GPL.
Pourquoi est-ce arrivé ? Les
entreprises ne comprennent-elles pas les conditions de la GPL ? Ou
peut-être tentent-elles de tricher, espérant que
personne
ne le découvrira ?
Probablement les deux. C'est à dire que certaines entreprises
trichent et d'autres le font par incompétence. Il y en a
probablement qui ont à la fois triché et sont
incompétents.
Mais si elles préfèrent
garder le code source secret, pourquoi ne choisissent-elles pas du code
sous licence BSD ?
Les incompétents ne savent pas ce qu'ils font. Les tricheurs
peuvent ne pas connaître d'équivalent BSD de ce qu'il
veulent.
Peut-être choisissent-ils
d'utiliser Linux dans leurs produits embarqués juste parce que
c'est à la mode dans le secteur informatique, et non parce que
c'est techniquement meilleur que les systèmes BSD ?
Je ne peux pas lire dans l'esprit des incompétents et des
tricheurs, et je n'aimerais pas me plonger dans leurs pensées si
j'en avais la possibilité.
Est-ce que gérer une entreprise
prospère (youpla boum, c'est le roi du pain d'épice) est
réellement possible si tout son code est sous GPL ?
Cygnus fonctionne de cette manière avec profit depuis des
années. Je pense que Red Hat aussi actuellement, bien que je ne
sois pas certain du statut de Cygwin.
Mais Red Hat ne publie pas tout ses
logiciels en tant que logiciels libres.
Je pense qu'ils gagnent leur argent avec un produit (Red Hat Enterprise
Linux) qui est totalement sous GPL. Si vous en savez plus, pouvez-vous
me dire quelles autres licences ils utilisent ?
Il semble que Red Hat vende ses
distributions GNU/Linux sous une sorte de licence utilisateur qui
limite la liberté numéro 2 fournie par la GPL. La version
courte de l'histoire, telle qu'elle m'a été
racontée, est que si j'achète un CD/DVD avec la
dernière version de Red Hat, que j'en fais un ISO et que je le
mets en ligne, je serais poursuivi.
La même chose arrive avec les
magasines informatiques. Ils ne peuvent pas inclure de CD Red Hat car
le terme Red Hat est une marque déposée ou quelque chose
comme ça, et ils ne laissent pas le magazine l'utiliser sans
autorisation. Et manifestement ils ne donnent pas cette permission. Les
magazines doivent utiliser Fedora et ne jamais dire Red Hat.
Excusez-moi, le temps que je lance un navigateur et que je fasse une
petite recherche ... Ahhh ... effectivement, si vous publiez un CD RHEL
sous quelque forme que ce soit, vous pouvez être poursuivi pour
utilisation illégale des marques déposées qui y
sont inclusent. Je pense que je viens de trouver
la
licence utilisateur en question.
Donc la réponse à votre question est oui ... Red Hat est
une démonstration que vous pouvez avoir une entreprise
profitable basée sur du code entièrement sous GPL. Vous
pouvez cependant avoir à utiliser quelques astuces
intéressantes avec la loi sur les marques pour y arriver. Tel
que je le comprends maintenant, ce que Red Hat a fait est de
légalement bloquer la reproduction intégrale de sa
distribution RHEL, bien que chaque composant soit toujours sous GPL,
donc librement redistribuable.
Fichtre, c'est astucieux et rusé. Ça me plait. Ca profite
à tout le monde : Red Hat a
une barrière autour de ses produits, mais tous les objectifs de
la licence libre de la communauté sont toujours respectés.
Considérez-vous ce comportement
comme cohérent ?
Oui. C'est logique et même éthique.
N'est-ce pas un des objectifs de la
communauté que la licence libre donne la possibilité de
partager le code ? Comment est-il acceptable que le fait qu'il soit
possible que chaque pièce soit toujours sous GPL et donc
redistribuable, mais que si je prends le CD/DVD entier il est
protégé par le droit des marques américain ?
C'est la beauté de cela. La possibilité de partager le
code n'est pas affectée -- ce que vous ne pouvez pas "partager"
est l'intégration faite par Red Hat et sa marque.
Il y a quelques temps, Linux a
abandonné BitKeeper car l'entreprise derrière ce produit
n'aimait pas le travail d'ingénierie inverse fait par Andrew
Tridgell. Larry McVoy, le principal auteur de BitKeeper, a dit "Vous
pouvez entrer en compétition avec moi, mais vous ne pouvez pas
le faire en roulant sur mes plates bandes. Résolvez votre
problème par vous-même, et rivalisez honnêtement. Ne
rivalisez pas en regardant ma solution".
Ce n'est pas la première fois
que de l'ingénierie inverse est utilisé pour
écrire un outil libre utilisant un protocole propriétaire
; pensez simplement à Samba ou Gaim.
La liberté est-elle plus
importante que l'innovation ?
La question est mal posée. Liberté et innovation ne sont
pas opposées ; elles sont intimement liées. Les
protocoles propriétaires et les monopoles qu'ils engendrent
empêchent l'innovation. Les standards ouverts l'encouragent.
McVoy s'engage dans une tromperie rhétorique, qu'il a
copié sur Microsoft. Il veut que vous croyiez que l'innovation
s'arrêtera si les vendeurs de logiciels ne peuvent pas collecter
une rente sur leurs secrets. Mais c'est de la pure connerie. Est-ce que
l'innovation automobile s'est arrêtée parce
que les ingénieurs ont la possibilité de regarder les
moteurs des autres ?
Chaque semaine les concepteurs de logiciels libres inventent et
utilisent plus de
nouvelles manières de faire les choses que
l'industrie propriétaire ne peut le faire en six mois. La raison
est que c'est un processus qui comporte moins de tension -- lorsque
vous voulez tester quelque chose, vous n'avez pas à discuter
avec un patron ou risquer de vous faire sacquer parce que votre
entreprise pense que c'est trop perturbateur par rapport à leur
ligne de produits existants. Vous le faites un point c'est tout.
La liberté est l'oxygène de l'innovation, pas son ennemi.
Alors pourquoi Andrew n'a-t-il pas
développé un nouveau protocole pour en faire un nouveau
standard ? Je veux dire qu'il a choisi d'écrire un outil libre
pour gérer un protocole propriétaire. Il a choisi la
liberté, pas l'innovation. Ils ont commencé un nouveau
projet (Git) uniquement lorsque l'entreprise a
stoppé sont support concernant le client libre.
Tridge a fait ça parce que ce dont il avait besoin était
un outil pour extraire les métadonnées de BitKeeper
depuis l'archive du noyau -- données qui ont été
placées là par BitKeeper mais que McVoy ne
possédait pas. Écrire un nouveau protocole aurait
été à côté de la plaque -- ce qu'il
voulait c'était sortir les métadonnées de la
prison.
Chacun est libre de choisir où
placer ses propres données. Linus a choisi BitKeep il y a des
années. Donc la racine du problème est que quelqu'un
choisisse une application propriétaire dès le tout
début.
C'est vrai. Mais le choix de Linus ne devrait pas limiter
l'accès de Linus ou d'autres développeurs à leurs
propres données.
Si je ne veux pas avoir mes
données piégées dans un format
propriétaire, j'évite ces applications
propriétaires. Quel est le sens d'utiliser une application
propriétaire et d'ensuite demander un outil libre pour
accéder aux données ?
Vous possédez vos données, même si elles sont
piégées dans une application propriétaire. Il y a
un terme dans la loi américaine, la conversion, pour l'action de
refuser de redonner leur propriété à ceux qui vous
en ont confié la garde. C'est probablement illégal
là où vous vivez également. Lorsque les
éditeurs retiennent vos données et refusent de vous y
laisser accéder sauf par le biais de leur application, ils
commettent peut-être un délit.
Dans le monde du logiciel libre, nous pensons que ça vous donne
le droit de faire tout ce qui est nécessaire pour y
accéder. L'erreur, si il y en a une, n'est pas de créer
des outils de secours libres tel que Tridge l'a fait ; elle est
du côté des éditeurs qui refusent de fournir de
quoi exporter vers un format ouvert et totalement documenté.
En fait, dans ce cas McVoy a fourni un tel format d'extraction. Tout ce
que Tridge a fait est d'arriver à comprendre quel est le
sésame indiquant au serveur BitKeeper d'envoyer cette
information
au client. Son outil de secours -- je l'ai vu -- est un script trivial.
Il n'y a donc rien de malfaisant d'un côté ou de l'autre,
c'est simplement McVoy qui a ouvert sa gueule parce que Tridge a
compris comment utiliser une fonction mal documentée.
Si les standards ouverts sont une
finalité, pourquoi devrait-on écrire des logiciels libres
pour utiliser des protocoles propriétaires ?
Pour aider les utilisateurs qui ne veulent pas être
piégés avec des applications propriétaires sous le
contrôle de l'éditeur.
Mais alors pourquoi ces utilisateurs
ont choisi des applications propriétaires au départ ?
Parfois ils n'ont pas le choix. Parfois ils peuvent penser que choisir
une application propriétaire est le meilleur choix. Ça
n'a pas
vraiment d'importance de savoir pouquoi. Quoi qu'il en soit, ils ont le
droit de sortir leurs données du piège une fois qu'ils
ont compris leur erreur.
Mais si vous continuez à
écrire des logiciels libres pour ceux qui sont
"piégés" par des formats ou des applications
propriétaires, les gens vont continuer à les utiliser
parce que justement il y a une "sortie de secours" !
Ne devrions-nous pas utiliser ce
"piège" pour attirer les gens directement vers le logiciel libre
? Si nous continuons à accepter et à aider ceux qui
utilisent les formats propriétaires, pourquoi devraient-ils
changer de logiciel et de format ?
Parce que les logiciels qu'ils utilisent sont, en
général,
mal conçus, non flexibles, et plein de trous de
sécurité. En soutenant les formats propriétaires,
nous réduisons les problèmes lors de la migration
hors de ce monde.
Quel genre de relation voyez-vous
entre le monde du logiciel et des standards libres tel que IEEE et les
standards de facto ?
Une relation très intime et une symbiose : chacun a besoin de
l'autre. La plupart des gens comprennent déjà une des
voies de
l'indépendance -- pour que le libre prospère, il est
essentiel d'avoir des
standards ouverts et forts pour les protocoles de communication et les
formats de données.
Ce que beaucoup de gens n'ont pas encore compris -- bien que le W3C et
l'IETF agissent dans cette direction -- est que les standards
ouverts dépendent de référence
d'implémentations libres. Il est extrêmement difficile de
spécifier tout ce qui a besoin d'être
spécifié dans un standard technique ; dans certains cas
notoires, tel que la manière dont Microsoft a
dénaturé Kerberos, des éditeurs ont utilisé
ces non-spécifications comme faille pour créer des
implémentations qui verrouillent leurs clients. Les
implémentations libres sont les seuls moyens connus pour
éviter de tels abus.
Pensez-vous que des organisations
telles que le W3C et l'IETF doivent activement vérifier et faire
respecter le fait que les protocoles et formats proposés par les
entreprises ne soient pas brevetés ? Je pense à Cisco et
l'histoire de VRRP...
Oui. Un "standard" avec un brevet bloquant est un piège
dangereux.
La prochaine version de la GPL devrait
couvrir certains aspects tels que les brevets. Pensez-vous que cela
pourrait inquiéter le monde des affaires plus que sa
viralité et faire en sorte que beaucoup de gens seront encore
plus nerveux concernant son adoption ?
Ca dépend de l'agressivité des nouvelles clauses. Sans
les voir, je ne peux pas vraiment évaluer les
éventualités.
De grandes entreprises ont
annoncé qu'elles partageront leurs brevets pour protéger
Linux et d'autres projets libres. Je ne comprends pas en quoi cela peut
être une bonne chose. Si tous les développeurs de
logiciels libres sont contre les brevets, ne devrions-nous pas
boycotter le système ? Quel est le sens de dire "Nous sommes
contre les brevets logiciels, mais si de grandes entreprises brevettent
des choses pour nous, c'est mieux" ?
Je n'ai entendu personne dire ça. La communauté du libre
ne demande pas aux entreprises de breveter quoi que ce soit, mais
l'accepte simplement lorsque ça arrive. Ce n'est pas comme si
nous pouvions les bloquer, franchement.
Je ne comprends pas votre
dernière phrase. Si quelqu'un vous donne un cadeau, vous
accepterez probablement. Mais si vous êtes contre quelque chose
et que ce cadeau est lié à ce "quelque chose", ne
devriez-vous pas refuser le cadeau ?
Je n'ai entendu personne dire "Merci
IBM, nous ne voulons pas de votre brevet parce que nous sommes contre
ce système et nous ne voulons pas le soutenir ni en faire
partie". Ne pensez-vous pas qu'ils auraient dû ?
Pourquoi faire ça, plutôt que d'encourager IBM dans une
action qui bouleverse le système ?
Je ne pense pas que le comportement
d'IBM bouleverse le système. Je pense qu'ils ont fait ça
pour que la presse parlent d'eux et de Linux, et pour dire à
leurs clients qu'ils seront couverts si besoin par les avocats d'IBM.
Cependant l'idée est que comme les gens derrière Linux ne
rejettent pas ces actions, ils ont maintenant une liaison
compliquée avec les brevets d'IBM. En faisant ça, ils
envoyent un message aux personnes qui n'est clairement pas "nous sommes
contre les brevets".
Je ne suis pas d'accord avec cette interprétation. Pensez
à l'époque de la guerre froide. Si les soviets laissaient
quelques dissidents hors de prison, leur auriez-vous dit "non, mettez
ces gens en prison" parce que vous pensez qu'en acceptant cette action
cela veut dire qu'ils soutiennent le Goulag ?
C'est un exemple étrange.
Suivez simplement la logique.
Revenons à la GPL.
N'êtes-vous pas inquiet de provoquer une pagaille politique en
disant que nous n'en avons pas besoin ? Certaines personnes pourraient
penser que vous tentez de démolir la GPL 3.0 avant sa sortie.
Non. J'ai en fait débattu depuis 1998 en disant que la GPL est
rationnellement justifiée uniquement si le libre est un
système de production inférieur aux autres. Mais à
cette
époque les preuves que le libre soit un système
supérieur étaient bien moins claires. J'en étais
cependant convaincu. J'ai écrit la première argumentation
analytique à ce sujet dans "La cathédrale et le bazar"
fin 1996. Je savais déjà ce que ça impliquait
à propos du caractère superflu de la GPL quant j'ai
écrit ce papier -- mais en attendant qu'il y ait beaucoup plus
de preuve tangibles, je savais que les arguments auraient
été difficiles à entendre pour les partisans de la
GPL.
En fait, ce sont les considérations politiques qui ont fait que
je suis resté silencieux durant un moment. Pendant longtemps
j'ai estimé que les nuisances de la GPL étaient largement
compensées par les côtés positifs. Quelques temps
après avoir cessé de penser ça, je ne
voyais pas suffisamment de raisons de lutter avec les fanatiques de la
GPL. J'en parle maintenant parce que quelques courbes se sont
croisées. Il est devenu plus évident que le modèle
de développement du logiciel libre a un avantage
économique, et mon avis est maintenant que la GPL n'est plus
utile.
Oui, beaucoup de gens verront ça comme une
hérésie. Bien -- ça fait partie de mon job de
m'exprimer à l'encontre de la doctrine, et d'une manière
qui peut réfréner l'envie des autres de le faire. Si il y
a une meilleure manière de profiter du fait d'être
célèbre et respecté qu'en remettant en cause
l'orthodoxie, je ne l'ai pas encore trouvée.
Federico
Biancuzzi gère la section
BSD du magazine italien Linux&C. Il est pigiste pour ONLamp, LinuxDevCenter et NewsForge.
Traduction par David
Taillandier http://domainename.com
Relecture et correction par Alexis Kauffmann http://www.framasoft.net
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