Interview de Richard M.
Stallman à propos de l'état de GNU/Linux
Publiée le 31 mars 2005. Article original publié
sur le site "
Open
for Business"
Le mouvement du logiciel libre a beaucoup changé pendant les
deux dernières décennies. Pendant cette période,
il y a
eu une constante qui a maintenu dans le droit chemin l'organisation
créée pour promouvoir les logiciels libres :
Richard M. Stallman. Plus simplement connu dans la communauté
comme "RMS". Stallman est le fondateur du mouvement et n'a de
cesse de défendre les avantages d'une informatique
totalement non-propriétaire. RMS a aimablement
accepté d'être interviewé à
nouveau par Timothy R. Butler d'OFB pour parler de ses
activités, pour voir où mène la
célèbre licence de la fondation, ainsi que pour
connaître ses perspectives concernant divers changements au
sein de la communauté GNU/Linux depuis sa
dernière interview ici.
OFB
: Queles sont vos occupations
actuelles au sein de la FSF ?
RMS
: Les mots "au sein de la
FSF" pourraient être trompeurs puisque je passe la plupart de
mon temps en déplacement, et que mon activité conciste
à donner
des conférences à propos des logiciels libres et
des sujets qui leur sont liés. Début mars
j'étais en Syrie ; Comme la Syrie n'est pas une
démocratie et qu'il n'y a pas de liberté
d'expression, j'ai mis l'accent sur la comparaison entre les logiciels
libres et l'expression libre. Actuellement je suis en Colombie,
où j'avais une réunion avec des gens
impliqués dans les négociations pour le
traité de libre-échange avec les Etats-Unis. Je
les ai avertis sur les lois diverses, nuisibles et injustes, que les
Etats-Unis vont probablement essayer d'imposer à la Colombie.
OFB
: Il y a eu beaucoup de
discussions à propos de la licence publique
générale 3.0 (GPL 3.0) et de ses
différences avec la version actuelle. Que voyez-vous comme
raisons clefs pour que les gens adoptent la nouvelle version ?
RMS
: La plupart des programmes
l'adopteront automatiquement, puisqu'ils sont publiés sous
"GPL version 2 ou ultérieure" ; Cependant, les avantages
spécifiques auxquels je pense et qui plairont à beaucoup
de
développeurs incluent : la compatibilité
explicite avec certaines licences qui ne sont pas compatible avec GPL
v2, une meilleure gestion des brevets, la prise en compte du
problème des ASP, et l'amélioration des
conditions pour citer les auteurs..
OFB
: Cela fait nettement plus
d'une décennie que la licence a été
remaniée. Pourquoi maintenant ?
RMS
: Nous sommes en retard. Nous y avons travaillé pendant
plusieurs années mais nous
ne l'avions pas terminée.
OFB
: Des
défenseurs des licences BSD soutiennent que la GPL est
hypocrite car elle n'accorde par une liberté
complète, puisqu'elle choisi au contraire de placer des
restrictions sur le code
pour garantir que la liberté sera assurée
au-delà du premier développeur. Comment
répondez-vous à ce reproche ?
RMS
: C'est absurde de parler
de "la liberté de supprimer la liberté des
autres".
C’est de l'absence de cette
absurdité dont ils se plaignent.
OFB
: Quelle distribution
GNU/Linux recommandez-vous en ce moment si quelqu'un vient à
vous et demande comment débuter avec le logiciel libre ? Y'en
a-t-il
une qui s'aligne complètement sur les critères de
la FSF ?
RMS
: Oui, il y a une. Elle est
appelée UTUTO, et elle est développée
par des militants engagés du logiciel libre en Argentine.
L'existence de cette distribution est un grand pas en avant pour le
mouvement du logiciel libre. Pendant de longues années il
n'y avait littéralement pas de distribution GNU/Linux que je
pouvais moralement recommander au grand public. La plupart des
distributions contenaient des logiciels non libres ; Les rares
exceptions distribuaient des logiciels non libres depuis leurs sites.
OFB
: Le "Linux Core
Consortium" semble suivre les traces de United Linux, mais avec
une inflexion vers le logiciel libre. Quelles sont vos réactions
à propos de cette initiative ?
RMS
: C'est la
première fois que j'entends parler d'eux. Je suppose que
lorsqu'ils
disent "Linux" ils veulent dire le système GNU/Linux entier,
et pas uniquement Linux, mais c'est seulement une supposition.
Ce groupe a-t-il comme engagement de distribuer uniquement du
logiciel libre ?
OFB
: Il semble que ce soit le
cas. Gaël Duval, de Mandrakesoft, m'a dit qu'il croit que le
LCC respectera les directives de la FSF à la manière de
Mandrakelinux.
RMS
: C'est une très
bonne nouvelle. J'espère qu'ils reconnaîtront que
c'est une version du système GNU, au lieu de l'appeler
"Linux", mais la chose la plus importante est qu'ils reconnaissent la
liberté des utilisateurs.
OFB
: Y a t'il une chance pour
que la FSF participe à une telle initiative dans le futur ?
RMS
: J'en doute. Si ils travaillent sur Linux, le noyau, nous
n'avons pas de raison
particulière de participer. Nous ne sommes pas
impliqués dans le développement de Linux.
Si, d'un autre côté, leur travail est de maintenir
une version du système GNU en l'appelant "Linux", cela n'est
pas correct vis-à-vis du Projet GNU. Nous ne pouvons pas
leur dire quoi faire, mais nous ne légitimerons pas leur
pratique par notre participation.
OFB
: Depuis son rachat par
Novell, l'entité qui était connue sous le nom de
Ximian semble avoir une attitude plus favorable au logiciel
libre, et Novell dans l'ensemble a commencé à
libérer beaucoup de son code. Etes-vous satisfait par leur
démarche ?
RMS
: Je ne peux pas
être entièrement satisfait de Novell tant qu'ils
distribuent des logiciels non libres, et en particulier, je ne peux pas
approuver entièrement SuSe tant qu'ils distribuent des
logiciels non libres. Cependant, les changements de Novell vont dans la
bonne direction. Les programmes de Ximian et de SuSe qui
étaient non libres sont libres maintenant.
OFB
: Un BIOS Libre est
quelque chose qui a mis longtemps à voir le jour. Pensez-vous
que
ça deviendra une alternative facile à installer
prochainement ?
RMS
: Nous avons lancé
récemment une campagne avec laquelle nous
espérons faire pression sur les développeurs de
matériels pour coopérer avec le BIOS libre.
OFB
: Y a t'il un endroit
où il pourrait être raisonnable d'avoir un
firmware propriétaire, ou est-ce que la FSF visera plus tard
également d'autres firmwares tels que ceux des cartes son ou
des cartes vidéo ?
RMS
: S'il est écrit
en ROM, alors ça aurait aussi bien pu être des
circuits intégrés. Cependant, lorsque c'est
modifiable et que les utilisateurs commencent à installer
différentes versions, alors c'est du logiciel visible pour
les utilisateurs, et il est alors mieux que ce soit libre.
OFB
: Depuis que l'ASPL est
devenue une licence de logiciel libre depuis quelques
années, pour ainsi dire, Apple est devenu le plus grand
distributeur de logiciel libre, sous forme de l'OS Darwin qui est au
cœur de Mac OS X. Que pensez-vous à propos d'Apple ;
Font-ils bon voisinnage avec la
communauté ?
RMS
: Pas vraiment. Les
programmes qu'Apple a libéré étaient
ceux qui réalisaient des tâches pour lesquelles
nous avions déjà de bons logiciels libres -- en
d'autres termes, ceux qui n'apportaient pas une contribution
significative à la communauté. Alors qu'ils ne
l'ont pas fait pour les programmes qui auraient
été une vraie contribution.
Cependant, la pire chose à propos d'Apple est qu'ils ont
utilisé des brevets pour empêcher les logiciels
libres d'utiliser correctement les indications de lissage des polices
de caractères.
OFB
: Comment le HURD
progresse-t-il ? Est-ce toujours une priorité pour le projet
GNU malgré la disponibilité d'un noyau Linux de
plus en plus mature ?
RMS
: Le HURD n'est pas une haute
priorité actuellement, précisément
pour la raison que vous suggérez. Des personnes s'y
intéressent toujours pour des raisons techniques, et il fait
de lents progrès.
OFB
: Voyez-vous une ou deux
"grandes choses" se produire dans la communauté
cette année ?
RMS
: Je ne peux pas
prédire l'avenir. Ma boule de cristal est
embrumée aujourd'hui ;-).
OFB
: Eloignons-nous des
boules de cristal embrumées, combien de temps pensez-vous qu'il
faudra
pour enfin obtenir que le logiciel libre trouve sa place chez
l'utilisateur moyen, non technicien, qui le trouvera non seulement
philosophiquement préférable mais également
facilement utilisable ? Avons-nous atteint cette étape ou il
y a quelque chose en particulier que vous voyez comme un obstacle qui
doive être d'abord surmonté ?
RMS
: D'après ce que
j'ai entendu, nous en sommes déjà là
dans l'ensemble. Les premiers télécentres de Sao
Paulo ont été lancés il y a deux ans,
pour donner aux gens des quartiers pauvres une chance d'utiliser des
ordinateurs et l'internet. Ils utilisent GNU/Linux, et les gens sans
expérience le trouve facile à utiliser.
Récemment j'ai appris, à ma grande
déception, que ces ordinateurs utilisent un logiciel non
libre pour afficher du Flash et faire tourner les programmes Java. Le
développement de logiciels libres pour ces deux
tâches est clairement très important.
On m'a dit que les lecteurs Flash libres fonctionnent plus ou moins
pour l'affichage ; Ce qu'ils ne gèrent pas ce sont les
interactions avec l'utilisateur.
Le projet GNU travaille au développement de
bibliothèques Java libres, et un travail
considérable est en cours. Mais il y a encore beaucoup
à faire, donc nous avons vraiment besoin de volontaires. Ecrivez
à gvc@gnu.org si vous voulez aider.
OFB
: Voyez-vous l'utilisation
de logiciels libres tels que Firefox sur Windows comme une bonne
étape, ou cela diminue la valeur d'un système
totalement Libre ?
RMS
: Je voudrais d'abord corriger
une confusion courante. Le binaire de Firefox distribué par
les développeurs de Mozilla, comme tous leurs binaires,
n'est pas libre. Pour utiliser Firefox comme logiciel libre, vous devez
le compiler vous-même à partir du code source.
Nous discutons avec le projet Mozilla pour coopérer et
changer cela, mais pendant ce temps nous cherchons des gens qui
voudraient compiler et publier les binaires libres que nous pouvons
recommander.
Pour revenir à votre question, je pense qu'utiliser des
logiciels libres sur un système non libre tel que Microsoft
Windows peut être une bonne première
étape vers la liberté. Cependant, ce n'est qu'une
première étape si l'utilisateur va de l'avant et
franchi les étapes restantes pour obtenir la
liberté complète. La question est, les
utilisateurs le feront-ils, ou penseront-ils que quelques logiciels
libres sur Windows suffisent ?
Ca dépend s'ils viennent à adhérer aux
valeurs véhiculées par les logiciels libres.
Apprendre aux gens à apprécier la
liberté est le travail principal du mouvement du logiciel
libre aujourd'hui.
OFB
: Où voyez-vous
la FSF dans cinq ans ? Pensez-vous qu'un ordinateur
entièrement basé sur le logiciel libre avec du
matériel totalement fonctionnel (y compris la carte
vidéo, BIOS, etc.) sera alors réalisable ?
RMS
: Il y a quelques exemples de
machines qui fonctionnent actuellement avec un BIOS libre
et des pilotes libres, mais cela n'inclut pas (par exemple) de
portables. C'est un secteur où nous allons insister.
OFB: RMS, merci de nous avoir
accordé un peu de votre temps.
Traduction par David
Taillandier http://domainename.com
Relecture et correction par Alexis Kauffmann http://www.framasoft.net
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